L’éducation musicale au Japon, un modèle à suivre ?
Le Japon fait figure d’exception tant l’apprentissage de la musique est fortement ancré dans le système scolaire. En faisant de la musique une discipline aussi importante que les mathématiques, le pays a réussi à la généraliser à l’ensemble de la société. Mais est-ce pour autant une réussite ?
La plupart des écoles primaires japonaises possèdent leur propre orchestre qui font la fierté des élèves. (© KAZUHIRO NOGI / AFP)
Le système éducatif japonais a longtemps souffert et souffre toujours de nombreux clichés. Pression intense mise sur les élèves dès l’école primaire, machine à fabriquer de bons petits salariés dociles, emplois du temps surchargés… Même si certaines écoles du pays ont pu connaître des dérapages, la réalité est évidemment beaucoup plus sereine pour les écoliers japonais. Ce qui explique certainement pourquoi le Japon se retrouve à la deuxième place des meilleurs systèmes éducatifs au monde selon le classement établi par le Collège des Bernardins. Cela ne peut donc pas être un hasard si l’enseignement de la musique y trouve une place importante, voire inédite au monde.
L’apprentissage de la musique occidentale a très tôt été rendu obligatoire à l’école primaire et secondaire, pendant l’ère Meiji. Un processus renforcé après la Seconde Guerre mondiale à tel point que dès l’âge de 6 ans, un écolier japonais est exposé à des notions de solfège, à la pratique de différents instruments, de l’orchestre, ou du choeur. Un cas presque unique au monde puisque la musique est considérée comme une matière aussi importante que les mathématiques ou le japonais. Pendant les 6 années que dure l’école primaire, les petits japonais reçoivent une heure et demie d’éducation musicale par semaine.
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La salle de concert de la Geidai de Tokyo. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)•
L’enseignement est dispensé par leur professeur attitré, qui a donc reçu une formation préalable. Au menu : musique occidentale et traditionnelle, lecture de partitions, chant, pratique de différents instruments, pratique de l’orchestre dans certaines écoles. En effet, nombre d’écoles possèdent un important parc d’instruments financé en partie par les parents d’élèves. Les orchestres ou les choeurs des écoles sont d’une importance capitale, puisqu’ils sont les représentants des établissement scolaires à l’extérieur. Ils ont un effet très fédérateur, à l’image des équipes de football américain pour les écoles aux Etats-Unis.
Chaque année, d’importantes compétitions nationales sont organisées afin d’élire le meilleur orchestre scolaire. Cela permet aux élèves de trouver une réelle motivation quant à la pratique instrumentale afin de défendre l’honneur de leur école. Au collège aussi, les cours de musique continuent à être obligatoire même s’ils perdent leur degré d’importance par rapport à l’école primaire. Enfin, au lycée, la musique devient une option, mais beaucoup plus importante qu’en France avec un cursus qui pourrait s’apparenter aux classes à horaires aménagées.
Au Japon, la réussite scolaire étant très importante, la plupart des enfants ont une bonne connaissance de la musique classique et un assez bon niveau de pratique. Evidemment, il existe des écoles de musique et des conservatoires pour permettre aux passionnés de poursuivre leur pratique musicale. Mais étant donné leur coût très important, à ajouter à celui du système scolaire, l’apprentissage de la musique est principalement réservé aux familles aisées. C’est l’une des principales choses que regrette Laurent Teycheney, claveciniste et professeur de solfège à la *Geidai * de Tokyo, l’équivalent japonais du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Les deux établissements ont d’ailleurs signé un partenariat depuis 1997. Le Français a rencontré sa femme, une claveciniste japonaise, alors qu’ils étaient tous deux étudiants au CNSM de Paris. Ils sont installés à Tokyo depuis 1995.
Laurent Teycheney et un de ses étudiants dans sa classe de solfège à la Geidai de Tokyo, l’équivalent japonais du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. (© Victor Tribot Laspière /France Musique)•
« Les universités ou les écoles de musique coûtent vraiment cher pour le Japonais moyen. On est au niveau de la * Juilliard School *de New York. Depuis l’arrivée de la musique occidentale à la fin du XIXe siècle, le Japon est dans un schéma élitiste et bourgeois quant à l’accès à la culture. Et pas grand chose n’a évolué depuis. Je le vois toujours parmi mes étudiants. Aucun ne provient de milieux modestes « .
Une prédominance de la musique occidentale
L’apprentissage, ou plutôt la découverte, de la musique traditionnelle japonaise est revenue au programme des écoles primaire il n’y a que peu de temps. C’est l’une des conséquences de l’ère Meiji, cette époque d’ouverture au monde et d’adoption de la musique occidentale par le Japon. Les japonais se sont peu à peu détournés de leur culture. « Le japonais moyen ne connaît absolument pas la musique traditionnelle. Son enseignement a été sauvé il y a quelques années et est désormais dispensé à la Geidai de Tokyo, au même titre que la musique classique. Mais elle n’intéresse pas autant d’étudiants « , explique Laurent Teycheney.
« Si la culture traditionelle japonaise nous apparaît pourtant toujours bien vivante vue de l’occident, c’est surtout grâce aux artistes européens qui ont toujours portés un grand intérêt pour elle. C’est ce miroir tendu aux japonais qui a en quelques sortes sauvé cette riche histoire artistique. Il ne faut pas oublier non plus la volonté des américains de vouloir rayer de la carte la culture japonaise à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La génération des Japonais qui ont entre 50 et 60 ans ne connaissent absolument pas leur culture. C’était aussi un geste d’honneur pour ne plus penser à l’humiliation de la défaite de 1945. Pour s’en sortir, la société japonaise s’est mise des oeillères pour regarder uniquement vers la culture occidentale « .
Heureusement, peu à peu, les gouvernements japonais ont été sensibilisés à cette perte d’identité et les arts traditionnels – dont la musique – ont opéré un timide retour depuis les années 1970 avant un retour plus franc, notamment à l’école primaire, il y a une quinzaine d’années. Mais il reste encore du chemin explique Laurent Teycheney. « L’un des problèmes majeurs des étudiants musiciens au Japon est le manque d’ouverture vers d’autres cultures. Comment se fait-il qu’un élève pianiste n’ait jamais ouvert une partition de koto ou de shamisen, par exemple ? J’essaie de créer des connexions entre les étudiants de musique classique et ceux de musique traditionnelle, mais c’est très cloisonné « . Le français raconte l’anecdote d’un étudiant néerlandais venu étudier le violoncelle à la Geidai parce qu’il était féru de culture japonaise. « Il a été rapidement déçu de se rendre compte qu’il n’aurait aucun enseignement, même initiation, à la musique japonaise. C’est un vrai problème ici « .
Mari Kamimoto est compositrice, elle enseigne également à la Geidai de Tokyo. Elle aussi déplore le manque de transversalité dans l’enseignement de la musique même si elle sent un timide changement dans les attitudes. « Lorsque j’étais moi-même étudiante ici à la Geidai, les étudiants se focalisaient exclusivement sur la musique classique. Il était impensable d’aller voir ce qui se passait dans la scène jazz, voire dans le bâtiment en face où l’on enseigne la danse. Désormais, cela se décloisonne un petit peu. J’ai un étudiant en composition par exemple qui gagne sa vie au jouant du jazz au piano dans les bars le soir. Il travaille les deux avec autant d’assiduité et je sens que cela va dans la bonne direction pour devenir un artiste complet et original « . Pourtant, la question d’ouvrir ou non un département jazz à la Geidai ne se pose même pas alors que le Japon peut s’enorgueillir d’avoir une excellent scène jazz. « La musique classique est placée sur un piedestal au Japon, elle est presque trop respectée. Par conséquent, cela ne laisse pas beaucoup de place aux autres types de musique pour qu’ils fassent leur entrée dans les cursus universitaires. C’est dommage parce que c’est en s’ouvrant davantage aux cultures en général qu’on nourrit son jeu et son interprétation » analyse Mari Kamimoto.
Laurent Teycheney et Mari Kamimoto. (© Victor Tribot Laspière / France Musique)•
La compositrice et Laurent Teycheney s’accordent pour regretter que ce cloisonnement empêche les étudiants d’innover : « le niveau des étudiants est excellent ici au Japon mais si je devais faire un reproche à l’enseignement de la musique, c’est de trop figer les choses. Cela donne des élèves plutôt naïfs, dociles et fragiles. On leur dit de présenter telle pièce pour un examen ou pour un concert de fin d’année et ils s’exécutent. Ils ont conscience que le système est figé, que traditionnellement les concerts débutent à 19h, avec un programme d’une heure et demie toujours un peu pareil, mais ils ont l’impression qu’ils ne pourront rien changer alors ils n’osent pas ».
Autre difficulté inhérente au Japon, les professeurs de musique subissent une précarité de plus en plus dure à vivre. Il y a trois mois, le ministère de la culture a décidé d’amputer de 30 % les salaires des professeurs de la Geidai, sans que personne ne bronche. C’est l’un des nombreux avantages de la mentalité japonaise pour les politiques, rares sont les contestations sociales face à des réformes. « Nombre de mes confrères et consoeurs musiciens vivent encore chez leurs parents à l’âge de 50 ans. Tous doivent cumuler les petits boulots pour espérer s’en sortir. C’est beaucoup plus violent qu’en Europe il me semble. Mais la grande pudeur des japonais fait qu’ils ne montreront jamais que cela les touche » déplore Laurent Teycheney.
Le professeur de solfège rappelle tout de même l’excellence globale du niveau artistique des musiciens japonais et surtout le fait que la société a réussi à faire de la musique classique, un élément de la vie de tous les jours. « Le Japon a certes de nombreuses choses à apprendre de la façon d’enseigner la musique et la culture en général, mais l’inverse est vrai aussi. De nombreux pays, comme la France, gagnerait à s’inspirer du modèle japonais « .